L’investissement public atténue la méforme gazière
En 2024, comme en 2025, la croissance sera modeste. Elle proviendra surtout de l’investissement public, car la production de gaz, sur laquelle repose en grande partie l’économie, devrait stagner du fait de la saturation des gazoducs vers la Chine et les recettes pâtir de l’érosion des prix mondiaux.
L’un des principaux objectifs du gouvernement demeure la diversification de l'économie, notamment grâce au développement des infrastructures. En avril 2024, une nouvelle autoroute reliant les villes de Mary et Tejen a été inaugurée, intégrée dans le réseau de 370 kilomètres connectant Achgabat, la capitale, à Türkmenabat. Par ailleurs, le programme de développement socio-économique 2022–2028 du gouvernement prévoit la construction de nouveaux centres de santé, d'écoles, de centres culturels et de complexes résidentiels, ainsi que la poursuite du développement de la nouvelle ville « intelligente » d'Arkadag, en partenariat avec les Nations Unies. L’investissement restera surtout le fait du secteur public. L’investissement privé d’origine nationale est faible, tandis que l’investissement étranger se concentre essentiellement dans le secteur de l'énergie. L’augmentation de la production et de l’exportation de gaz dépend largement de décisions étrangères.
Après l’exceptionnelle déflation de 2023 liée à la réouverture post covid, l’inflation retrouve progressivement son niveau élevé habituel. La politique de substitution des importations, qui réduit les volumes de denrées alimentaires importées, provoque des pénuries dues à la planification agricole inefficace et aux mauvaises conditions météorologiques. Les tensions inflationnistes sont aussi entretenues par la politique annuelle d’augmentation de 10 % des salaires et des pensions dans l’omniprésent secteur public. La politique monétaire étant rudimentaire, car limitée au robinet du crédit, le gouvernement continuera de contrôler les prix et de fournir des rations alimentaires à la population. Ainsi confrontés à l’inflation, mais aussi au chômage et aux faibles revenus, les hydrocarbures profitant directement très peu aux ménages, la consommation reste atone.
Une situation souveraine confortable
En 2024, comme en 2025, le compte courant devrait rester excédentaire en raison du surplus commercial généré par les exportations d’hydrocarbures et leurs prix mondiaux encore élevés. Cependant, cet excédent tend à diminuer avec la baisse tendancielle de la production de pétrole, l’érosion des prix des hydrocarbures, ainsi que la diminution des transferts d’argent des travailleurs expatriés. Cette situation résulte de la décision de la Turquie, en septembre 2022, d'annuler l'exemption de visa pour les citoyens turkmènes. La Turquie (qui est la principale destination des migrants turkmènes), a pris cette mesure à la demande du Turkménistan, soucieux de réduire l’activisme de ses ressortissants à l’étranger en faveur du respect des droits de l’homme dans leur pays d’origine. Nonobstant cette réduction de l’excédent courant, le fonds souverain continuera de se remplir, alors qu’il atteint déjà l’équivalent de 55 mois d’engagements extérieurs, soit 55% du PIB.
Alimentés par les recettes provenant des exportations de gaz, les comptes publics affichent un léger surplus. Malgré la baisse attendue des prix mondiaux des hydrocarbures et l’augmentation des dépenses d’investissement, particulièrement celles liées au développement de la ville « intelligente » d’Arkadak, il devrait persister en 2025. Les recettes hors hydrocarbures augmentent, tandis que les autorités montrent une certaine prudence dans la dépense, qui n’exclut pas des dépenses somptuaires, telles que des monuments commémoratifs. Par exemple, en mai 2024, une nouvelle statue de bronze de 80 mètres (la plus grande du monde) représentant un poète majeur du pays, a été érigée à Achgabat. Le quasi-équilibre budgétaire doit beaucoup aux transferts en provenance du Fonds de stabilisation (11% du PIB), lui-même alimenté par les bénéfices des nombreuses entreprises publiques, notamment dans le secteur de l’énergie. La dette publique, entièrement libellée en devises étrangères, restera à niveau faible.
Les agents économiques turkmènes ont un accès limité aux devises étrangères en raison des restrictions gouvernementales sur leur vente, leur conservation et leur transfert. Ces restrictions ont conduit à l'émergence d'un marché de change parallèle, où le taux diffère considérablement (plus de 5 fois) du taux officiel. Depuis mai 2020, toutes les devises étrangères entrant dans le pays doivent être échangées au taux officiel et transférées au Fonds souverain qui représente près de 55 mois de paiements extérieurs courants Cela permet d’assurer l’ancrage du cours officiel au dollar, mais sans garantir un accès suffisant à ce dernier à ce cours.
Un régime autocratique souhaitant diversifier ses partenaires économiques, mais toujours dépendant de la Chine
Le principal partenaire commercial du Turkménistan est, de loin, la Chine (71% des exportations). Le Turkménistan fournit du gaz à la Chine via le réseau de gazoducs Central Asia-China Gas, de 1 833 kilomètres, qui comprend trois branches, A, B, et C. Une quatrième, la D, est en construction.
Le Turkménistan cherche à diversifier sa clientèle gazière. En juillet 2024, un contrat a été signé avec l’Iran pour l’exportation de 10 milliards de mètres cubes supplémentaires de gaz naturel turkmène par an, que l'Iran expédiera ensuite à l'Irak. Dans ce cadre, l’Iran a annoncé la construction d’un nouveau gazoduc transfrontalier de 125 kilomètres. De plus, en mars 2024, le Turkménistan et la Turquie ont signé des accords préliminaires visant à renforcer leur coopération pour acheminer du gaz vers l'Europe via la Turquie. Le transport devrait s'effectuer à travers l'Azerbaïdjan et le projet de gazoduc transcaspien (TCP), bien que ce dernier, planifié depuis 25 ans, reste incertain, du fait des retards logistiques et de l’opposition russe. En outre, en juillet 2024, une rencontre ministérielle pakistano-turkmène est intervenue pour discuter de l’accélération du développement du gazoduc Turkménistan-Afghanistan-Pakistan-Inde (TAPI), qui connaît des retards en raison du manque de financement et de la situation sécuritaire instable en Afghanistan. Le Turkménistan est également sur plusieurs corridors commerciaux majeurs, tels que ceux reliant la Chine à l’Europe via le Caucase et la Turquie, ou encore la Russie au golfe persique via l’Iran. D’autre part, lors du sommet de l’Organisation des États turciques (OTS), en juillet 2024, le Turkménistan a renouvelé sa demande pour devenir un membre à part entière de l'organisation, après l’avoir rejoint en tant qu'observateur en 2021. Enfin, le Turkménistan continuera à suivre sa politique traditionnelle de stricte neutralité, tout en cherchant à atténuer les menaces potentielles en provenance d'Afghanistan, dont il dépend pour ses ressources en eau et le futur passage de son gaz vers l’Asie méridionale.
En 2022, Gurbanguly Berdymukhamedov, qui dirigeait le Turkménistan depuis 2007, a cédé la présidence à son fils Serdar dans le cadre d'une transition orchestrée. Cependant, l'ancien président maintient une influence considérable sur la politique intérieure grâce à la création du "Halk Maslahaty" ou "Conseil du peuple", un organe non élu qu’il dirige et constitue un centre de pouvoir parallèle à l'administration présidentielle, affaiblissant ainsi l'autorité du président actuel. Enfin, l’omnipotence étatique, l’absence de libertés publiques et la répression perdurent, nonobstant le mécontentement accentué par la dureté des conditions de vie illustrée par les rationnements alimentaires.