Une activité affectée par le ralentissement économique étatsunien
En 2023, l'économie salvadorienne a été entravée par l’impact du ralentissement de son voisinage sur ses exportations et celui du resserrement monétaire et de l’inflation sur sa demande domestique. Le dynamisme de la dépense publique et de l'investissement privé a compensé.
En 2024, l’activité, même soutenue par la dépense publique, dans un contexte électoral, devrait s’affaiblir en raison du ralentissement de l’activité aux États-Unis. La décélération des remises d’expatriés (23 % du PIB en 2023) en provenance des États-Unis (93 % des remises), impactera la consommation des ménages, heureusement soutenue par la désinflation et la solidité de l’emploi. L’inflation devrait ralentir, notamment sous l’influence de la politique budgétaire salvadorienne, avec des exonérations fiscales sur les carburants, les autres combustibles et certains produits alimentaires de base, ainsi que la stabilisation du prix de l’électricité. En effet, la dollarisation complète de l'économie limite considérablement l’influence des autorités locales sur la politique monétaire. Enfin, les prix mondiaux devraient encore se tasser.
Par ailleurs, le ralentissement de la demande étatsunienne pèsera sur les exportations de biens, surtout de pièces d’habillement, et dont 39 % étaient destinées aux Etats-Unis en 2022 (majoritairement habillement, plastiques, café et sucre). Le tourisme (12 % du PIB en 2023, avec 45 % des visiteurs provenant des États-Unis au premier semestre) devrait aussi pâtir. La baisse de l’inflation s'accompagnera d’une hausse des taux d’intérêt réels, contraignant les investissements privés. De plus, l’adoption controversée du bitcoin comme seconde monnaie légale en 2021 et la perception de l’environnement des affaires, notamment en raison de la criminalité et de la dérive autoritaire du président, pèseront également sur l’investissement.
Des finances publiques toujours préoccupantes et des comptes extérieurs vulnérables
Le déficit public s’est creusé en 2023, dans un contexte préélectoral. En 2024, les finances publiques demeureront sous pression, car les dépenses électorales se poursuivront à l’image de la reconstruction de l'hôpital Rosales à San Salvador et du développement d’installations sportives. L’augmentation des investissements dans la technologie via des partenariats publics-privés et dans les infrastructures routières, contribuera aussi au maintien du déficit élevé. Cependant, l’échéance électorale passée, un retour à une certaine rigueur budgétaire n’est pas impossible, qui passerait, d’abord, par la suppression des exonérations fiscales pour les produits de base et des améliorations dans la collecte des impôts, aidées, en cela, par la numérisation de la facturation. Cependant, les vulnérabilités budgétaires persistent, notamment du fait de l’adoption du bitcoin comme monnaie légale en 2021. L'absence de soutien du FMI à cette démarche et le coût exorbitant d’un recours aux marchés financiers internationaux ont conduit le pays à se tourner vers d'autres partenaires comme la Chine et les banques régionales de développement. Cela a permis le rachat anticipé, en septembre et décembre 2022, de deux obligations arrivant à échéance en 2023 et 2025. Par ailleurs, en octobre 2023, le gouvernement a lancé un programme de restructuration de sa dette à court terme, consistant en un refinancement d'environ 1,5 milliard de dollars sur un total de 2,8 milliards. Ce reprofilage par allongement des maturités (moyennant une augmentation du taux) vise à réduire le poids du refinancement de la dette à court terme détenue par les banques locales.
Toutefois, le risque souverain devrait rester élevé. Il découlera des remboursements obligataires de USD 800 et 601 millions exigibles, respectivement, en 2027 et 2029, auxquelles s’ajoutent les échéances au titre de la dette reprofilée. Malgré la réduction de son poids dans le PIB jusqu’en 2023, la dette publique reste très risquée. Principalement libellée en dollar américain, la monnaie nationale, elle vient à échéance principalement à moyen ou long terme (60 % à plus de 11 ans). Son service annuel, représentant environ 5 % du PIB, est principalement attaché à la dette domestique et absorbe 24,5 % de la dépense publique, alimentant ainsi le déficit. Sa part extérieure représente 59 % du total. Les créanciers obligataires en détiennent 52 % (2022), les créanciers multilatéraux 45 %.
Le déficit courant a nettement diminué en 2023 grâce au rebond du tourisme favorisé par la nette amélioration de la sécurité dans le pays et à la modération des prix des matières premières importées. Il s’améliorera légèrement en 2024. Les termes de l'échange vont continuer de s'améliorer, et la reprise du tourisme se poursuivre, améliorant ainsi l’excédent du compte des services. Néanmoins, le déficit commercial (-31 % du PIB en 2022) se creuserait légèrement en raison du ralentissement nord-américain. Les envois de fonds en provenance des États-Unis risquent de ralentir. Le déficit de la balance des revenus devrait également être impacté par le service de la dette extérieure. La réduction continue des réserves de change accentuera la vulnérabilité des comptes extérieurs. En effet, le remboursement intégral de deux obligations compliquera l'attraction de capitaux et l'obtention de flux de dette pour financer le déficit courant, exerçant ainsi des pressions sur les réserves de change. Ces dernières, couvrant 2 mois d’importations, ont diminué en moyenne de 23 % en glissement annuel depuis le début 2023. L’économie salvadorienne étant entièrement dollarisée, cela pourrait entraîner des pressions sur la monnaie en circulation.
Un second mandat pour le président Bukele
Le président Nayib Bukele et les députés de son parti de droite Nuevas Ideas qui détiennent les deux tiers des sièges à l'Assemblée législative, doivent leur réélection en février 2024 aux succès remportés dans la lutte contre la criminalité et les gangs. Le taux d'homicides est passé de 18,1 pour 100 000 habitants en 2021 à 7,8 en 2022. L’interdiction constitutionnelle faite au président de se représenter à un second mandat consécutif a été contournée avec l’aide de la Cour suprême de justice qui a estimé qu’il suffisait qu’il abandonne sa fonction six mois avant l’élection (en l’occurrence, à quelqu’un de très proche). Avec plus de 85 % des voix, N.Bukele a remporté l’élection présidentielle de février 2024. Son parti est en passe de remporter la quasi-totalité des sièges du Parlement, consolidant ainsi son emprise sur le pays. Les résultats confirment sa large avance relevée dans un sondage de CID Gallup de novembre 2023, où 9 salvadoriens sur 10 avaient l’intention de voter pour lui. Pourtant, les opposants et groupes de défense des libertés critiquent la répression, qui s’accompagne du muselage de la presse, de la suspension des droits de la défense et de l’emprisonnement préventif illimité. Depuis l’instauration de l’état d’urgence, en mars 2022, pour endiguer les crimes violents, les autorités auraient emprisonné plus de 73000 individus soupçonnés d'appartenir à des gangs, mais seuls 7000 déclarés innocents auraient été libérés.
Sur le plan extérieur, des tensions croissantes avec les États-Unis, critiques sur l’autoritarisme de N. Bukele et sa volonté de réduire la dépendance de son pays vis-à-vis des États-Unis, pourraient conduire à de nouvelles sanctions, au-delà de celles existant contre d’anciens responsables salvadoriens. Parallèlement, les liens avec la Chine se sont renforcés, visant à stimuler les IDE et à obtenir un financement bilatéral. Cependant, les États-Unis resteront le partenaire commercial principal du Salvador, principalement en matière de tourisme et de remises. Cette dépendance incite Bukele à préserver des liens avec les États-Unis.