Une croissance majoritairement tributaire de l’activité américaine
En 2024, malgré le rebond du tourisme (8% du PIB) induit par l’embellie sécuritaire, la croissance salvadorienne a ralenti sous l’effet des fortes inondations, qui ont impacté l’agriculture, la construction et l’investissement. L’activité a aussi été affectée par le ralentissement américain, une tendance amenée à se reproduire en 2025. En effet, la moindre vigueur de l’activité étatsunienne pèsera sur les exportations. De plus, fait nouveau, la consommation des ménages, malgré une inflation modérée par le resserrage budgétaire et la dollarisation, pourrait être contrainte par le ralentissement de la croissance des envois de fonds (24 % du PIB en 2023) des expatriés résidant aux États-Unis (2,5 millions dont 0,75 millions illégaux). Ils constituaient 93% du total des expatriés en 2023. Ces envois risquent de pâtir, outre du ralentissement conjoncturel, du durcissement de la politique migratoire de l’administration Trump. Le resserrement budgétaire convenu avec le FMI dans le cadre du nouveau programme pèsera aussi sur la consommation.
Le tourisme, qui a atteint un niveau record en 2024 (3,9 millions de visiteurs, +17 % par rapport à 2023 et +81 % par rapport à 2019), continuera de bénéficier de la faible criminalité et d’encourager la consommation, mais sera exposé au fléchissement américain (39 % des visiteurs en 2024). Le ralentissement américain impactera aussi la croissance des exportations (États-Unis : 1er client, avec 36 % du total en 2024). Les exportations textiles des maquilas en pâtiront particulièrement, représentant 31 % des exportations totales en 2023 et 68 % des exportations vers les E.U. Elles ont déjà chuté de 10 % en 2024. Les principales autres exportations sont les équipements électriques et électroniques, les plastiques, le café et le sucre. Si le Salvador semble mieux protégé de mesures tarifaires grâce à son appartenance à l’accord de libre-échange régional CAFTA-DR et à l’excédent commercial des États-Unis, l’administration Trump pourrait quand même utiliser le levier de la question migratoire pour obtenir une renégociation de l’accord.
Malgré ces vents contraires, l’investissement soutiendra l’activité et bénéficiera d’un rebond des projets de construction et d’infrastructures, grâce aux partenariats public-privé (PPP). Cependant, les investisseurs seront tiraillés entre le faible niveau de criminalité et la dérive institutionnelle.
Consolidation des finances publiques après un accord avec le FMI
En 2024, le déficit budgétaire s’est légèrement réduit grâce à la baisse post-électorale des dépenses et à la lutte contre la fraude fiscale. Le budget 2025, adopté en décembre 2024 pendant la conclusion des négociations avec le FMI, marque un engagement en faveur de l’assainissement budgétaire. La consolidation débutera avec un gel des salaires et la suppression de 11200 postes vacants dans le secteur public, prélude à une réforme de la fonction publique et du système des retraites, et à la recherche d’efficacité dans la dépense. Le gouvernement poursuivra également l’élargissement de l’assiette fiscale. Les dépenses seront prioritairement orientées vers la santé, l’éducation, la sécurité et la défense (37,4 % du total). Le recours à l’endettement extérieur sera limité aux dépenses en capital, et il devrait s’agir de prêts concessionnels. Il s’ensuivra une réduction du déficit global et une augmentation de l’excédent primaire, c-à-d hors intérêts de la dette (5% du PIB). Les autorités se sont engagées à un ajustement du solde primaire de 3,5 % du PIB en trois ans. Ces efforts seront soutenus par l’accord historique conclu en février 2025, après quatre années de négociation, avec le FMI, après que le bitcoin se voit vu retirer son cours légal (datant de 2021) et son usage soit devenu volontaire, notamment pour le paiement des impôts. De plus, les autorités se sont engagées à réduire encore l’exposition du secteur public au bitcoin et à l’e wallet « Chivo ». L’accord avec le FMI porte sur une Facilité élargie de crédit de 1,4 milliard USD sur 40 mois, avec un décaissement immédiat de 113 millions USD. Il pourrait débloquer jusqu’à 2,1 milliards de dollars de prêts additionnels de la part de la Banque mondiale et de la Banque interaméricaine de développement.
La dette publique est majoritairement libellée en dollar américain (96 %), et assortie de taux d’intérêt égaux ou supérieurs à 7 % (janvier 2025). Les créanciers privés, majoritairement obligataires, en détiennent 59 %, les créanciers multilatéraux 33%. Sa part extérieure en représente environ 68%. La charge d’intérêts (5 % du PIB en 2024) demeurera élevée et absorbera 19 % du budget 2025. L’accord avec le FMI fait suite à un vaste rééchelonnement de la dette, amorcé en 2022. Dans un contexte de baisse des spreads (350 points de base fin 2024 contre 700 fin 2023), trois rachats de dette obligataire ont eu lieu en 2024 pour allonger les échéances et réduire les besoins de financement à court terme (18,5 % du PIB en 2024). En avril et novembre 2024, le pays a émis deux obligations de 1 milliard USD chacune. De plus, en octobre 2024, le Salvador a procédé à un échange dette-nature. Il a permis au gouvernement de racheter USD 940 millions d’obligations arrivant à échéance entre 2027 et 2052, tout en économisant USD 350 millions en intérêts qui seront consacrés à la restauration du fleuve Rio Lempa.
Tout en restant modéré, le déficit courant s’est maintenu en 2024. La hausse du déficit commercial a été atténuée par des envois de fonds robustes (+2,4 % en 2024 par rapport à 2023), la baisse des prix des matières premières importées et la hausse des exportations de services, portées par un secteur touristique en plein essor. Financé par les opérations de dette sur les marchés, des prêts multilatéraux et les IDE, le déficit ne variera encore guère en 2025. Cela sera lié à la poursuite de la reprise des importations et du ralentissement des exportations, impactée par l’affaiblissement de la demande américaine. La croissance des envois de fonds ralentira sous l’effet d’une conjoncture américaine moins favorable et du durcissement de la politique migratoire. Les recettes touristiques resteront solides (8,1 % du PIB en 2023), soutenues par l’excellent climat sécuritaire. Les réserves de change, même passées de 2,8 milliards USD en janvier à 3,5 milliards USD en décembre 2024, ne couvriront que 3 mois d’importations.
Réélection triomphale du président Bukele en vainqueur de la criminalité
Réélu triomphalement en février 2024 avec 85 % des voix, avec une majorité écrasante au Congrès (54 sièges sur 60 pour son parti Nuevas Ideas), Nayib Bukele entame un second mandat jusqu’en 2029, axé sur l’assainissement budgétaire. Sa victoire repose sur sa lutte contre la criminalité et les gangs, qui lui assure une popularité massive (90% de soutien). En effet, le taux d’homicides a chuté, passant de 54 pour 100 000 habitants en 2018 à 1,8 en 2024. Pourtant, les opposants et groupes de défense des libertés critiquent la répression, qui comporte le muselage de la presse, la suspension des droits de la défense et l’emprisonnement préventif illimité. Depuis l’instauration de l’état d’urgence, en mars 2022, 83 000 suspects ont été arrêtés, dont au moins 30 000 innocents selon des ONG. Parmi eux, 8000 ont été libérés. L’écrasante domination du Congrès par le parti présidentiel a permis l’adoption de mesures controversées, comme la levée de l’interdiction de l’exploitation aurifère (décembre 2024) et la suppression de l'obligation de ratification d’amendements constitutionnels par deux législatures différentes, permettant au président de modifier la Constitution immédiatement (février 2025). La supermajorité dont disposait N. Bukele au précédent Congrès (plus des 2/3 des sièges) lui avait déjà permis de nommer ses alliés à des postes clés de la Cour suprême, celle-ci l’autorisant à briguer un second mandat consécutif.
Sur le plan international, le Salvador maintiendra ses liens avec les États-Unis, son premier partenaire commercial, tout en s’adaptant au durcissement de la politique migratoire américaine. Dans le cadre de son nouveau statut d’ « État tiers sûr » octroyé par la nouvelle administration Trump, le pays autorise les États-Unis à y expulser des migrants illégaux, quelle que soit leur nationalité. Bukele a également proposé d’accueillir des détenus américains dans les prisons salvadoriennes en échange d’une compensation financière. Cette coopération pourrait ainsi renforcer sa proximité vis-à-vis de Washington et atténuer d’éventuelles pressions protectionnistes sous la présidence Trump. Enfin, sans compromettre sa proximité avec les États-Unis, le Salvador devrait bénéficier des financements chinois, notamment pour ses projets d’infrastructures.