La prudence des consommateurs face à la hausse des prix continuera de peser sur les ventes au détail
L’année 2023 fut marquée un ralentissement de la demande des consommateurs, affaiblissant la croissance des ventes au détail. Alors que la croissance économique mondiale devrait freiner de nouveau en 2024 (2,3% après 2,6% en 2023), le secteur de la distribution continuera de faire face à une faible demande. Une inflation ralentie (4,9% contre 6,3% en 2023) mais restant plus rapide qu’avant la pandémie, combinée à des taux d’intérêt élevés, pèsera sur la consommation des ménages. De plus, la préférence des consommateurs pour les services aux dépens des biens pourrait continuer d’assombrir les perspectives des distributeurs.
Comme en 2023, ce ralentissement ne sera pas uniforme, avec notamment des divergences géographiques. Dans les deux principaux marchés asiatiques (Chine et Japon), les ventes sont susceptibles d’afficher une plus faible croissance que l’année passée. La confiance des consommateurs chinois, dont l’indice était de 87,6 en décembre 2023 contre 114,3 en moyenne sur 2015-20191, continuera de pâtir d’un marché du travail défavorable et de la crise immobilière, tandis que les distributeurs japonais devraient bénéficier d’un apport moins fort du tourisme comparé à l’année passée. Au contraire, les ventes au détail2 américaines et européennes (respectivement -0.5% et -0,7% en volume en 2023) pourraient poster un faible rebond grâce à la hausse des salaires réels. Aux Etats-Unis, l’épuisement du stock d’épargne excédentaire accumulé pendant la pandémie signifie que la croissance de la consommation américaine devrait retrouver son lien habituel avec celle attendue des revenus, favorisant un modeste rebond des volumes de vente.
Des divergences seront également observées selon le positionnement des distributeurs. Les perspectives de ventes dans les secteurs du luxe, traditionnellement moins sensibles aux cycles économiques, s’annoncent plus positives. De plus, le luxe bénéficiera de la reprise du tourisme international, les dépenses des touristes n’ayant pas encore retrouvé leur niveau d’avant-pandémie. Alors qu’elles représentaient 40% des ventes mondiales de produits de luxe en 2019, elles étaient estimées à 30% en 20233. A l’autre bout du spectre, les « discounters » devraient mieux résister en raison de la sensibilité accrue des consommateurs à la hausse générale des prix. Par exemple, les ventes des grands magasins discounts aux Etats-Unis ont chuté de 1.3% en 2023 contre 7% pour les grands magasins traditionnels. Dans une moindre mesure, la distribution alimentaire devrait bénéficier du caractère peu cyclique de la consommation. Néanmoins, le niveau général élevé des prix et la volatilité des cours de certaines matières premières agricoles (sucre et riz notamment) pourraient forcer les ménages à continuer de transférer leur consommation vers des produits moins chers mais indispensables : pâtes, farine, ou riz, au détriment de la viande par exemple. Les vendeurs de produits non-essentiels tel que l’habillement (hors luxe) devraient pâtir le plus de la hausse du niveau général des prix et de l’évolution des préférences des consommateurs. Il en sera de même pour les distributeurs d’électro-ménager et d’ameublement, également touchés par le ralentissement des transactions immobilières.
Les coûts pourraient partir à la hausse, contraignant davantage les marges
Hors loyers, qui devraient rester affectés par le ralentissement de l’activité des points de ventes et des taux intérêt élevés (à l’exception du Japon), des risques haussiers planent sur les autres principaux coûts des distributeurs. Ils concernent le prix des matières premières, notamment alimentaires et énergétiques, qui impactent le prix de leurs marchandises ainsi que leurs coûts opérationnels. Plus particulièrement, le prix de l’énergie influence directement le coût de gestion des points de vente ainsi que les frais de transport. Ces derniers apparaissent d’autant plus à risque dans un environnement marqué par les tensions géopolitiques perturbant le fret maritime en mer Rouge (environ 12% des échanges commerciaux). D’autres frais logistiques, comme les coûts d’entreposage ne devraient pas sensiblement faiblir car les niveaux d’inventaire, bien qu’ayant baissé en 2023, restent élevés en raison de la demande atone. En outre, les coûts salariaux devraient continuer d’augmenter plus rapidement que par le passé dans un contexte de marchés du travail encore relativement tendus. Cela pourrait être le cas aux Etats-Unis, au Japon, et en Europe. Dans l’Union Européenne, le taux de vacances des postes dans le secteur du commerce de gros et de détail reste historiquement élevé (2,2% au 3ème trimestre 2023 vs. 1,4% en moyenne sur 2015-2019).
Ces risques sur les coûts, concomitant à une demande fragile, font craindre une compression des marges, alors même que ces dernières sont déjà limitées par la forte concurrence du secteur. Ainsi, les défaillances de distributeurs devraient augmenter en 2024. Ces difficultés, et un effet de rattrapage après des chiffres historiquement faibles au sortir de la pandémie, avaient déjà tiré les défaillances vers le haut en 2023 dans de nombreuses économies (+30% pour les distributeurs non spécialisés en France, par exemple). Les grands distributeurs ne sont pas épargnés, avec des bilans déposés par Bed Bath & Beyond (Etats-Unis), Galeria (Allemagne), tandis que le groupe français Casino a échappé de peu à la faillite en approuvant un plan de restructuration de sa dette en janvier 2024.
A plus long terme, les distributeurs pourraient faire face à des consommateurs de plus en plus soucieux des questions environnementales et sociales, ce qui devraient les encourager à adapter leur chaine d’approvisionnement. Cette pression touchant plus spécialement les enseignes de consommation, les distributeurs mono-marques devraient être les plus touchés. Reflétant les attentes des consommateurs, les investisseurs et autorités publiques devraient également continuer d’avoir des attentes accrues en la matière. Les régulateurs, notamment européens, exigent plus de transparence et introduisent des réglementations visant à encourager des pratiques durables et responsables en intégrant les préoccupations environnementales et sociales dans les activités et la gouvernance des entreprises (l’EUDR, par exemple). Certains types de distributeurs apparaissent particulièrement concernés. Les acteurs de la vente alimentaire, par exemple, doivent s’adapter alors qu’un nombre croissant de pays (UE, Canada, Inde, etc.) interdisent l’utilisation des plastiques à usage unique, tandis que les distributeurs de vêtements subissent une réglementation plus contraignante en raison de la nature polluante de la production et des conditions de travail (emploi d’enfant, travail forcé). Les normes sociales et environnementales plus strictes pourraient entraîner des coûts plus élevés pour les distributeurs. Ils pourraient alors être répercutés aux consommateurs qui pourraient alors avoir des difficultés à concilier leurs exigences sociales et environnementales plus fortes avec leur préférence pour des prix abordables.
En outre, on observe une demande croissante de praticité dans l’expérience d’achat, avec le développement du commerce en ligne. Il représentait respectivement 15% et 28% des ventes au détail aux Etats-Unis et en Chine, respectivement en 2023. Cela met en lumière l’intérêt pour les distributeurs traditionnels d’opter pour des stratégies omnicanales, d’autant plus que le développement du e-commerce conduit de plus en plus de marques à vendre directement aux consommateurs (D2C), contournant les réseaux classiques de distribution. La demande de praticité, en tandem avec la volonté d’expériences d’achat plus personnalisées, alimente aussi le besoin d’acquisition de technologies pour les distributeurs traditionnels. Afin d’améliorer l’engagement des consommateurs, le développement d’expériences d’achat ‘phygitales’, qui impliquent l’intégration de fonctionnalités digitales dans des espaces de distribution physique comme les paniers ou caddys intelligents, devrait perdurer.