La production mondiale de céréales baissera de 2% en 2024
Cette baisse sera à la fois le fruit d’une incertitude sur les rendements à venir (risque météorologique) et d’un fort effet de base, l’année 2023 ayant été une année record pour la production mondiale de céréales. La baisse des surfaces ensemencées aux Etats-Unis (-6% en glissement annuel), des rendements probablement plus faibles en Europe de l’Ouest et la perte de surfaces et de capacités de production par l’Ukraine sont à l’origine de la contraction de la production de blés d’hiver dans l’hémisphère Nord en ce début d’année. En somme, cet ensemble de pays, qui assure environ 40% de la production mondiale de blé, sera soumis à des conditions de production défavorables.
La Chine et l’Inde voient quant à elles leurs surfaces cultivées en blé augmenter. Globalement, les prévisions concernant la production de blé en Chine et en Inde sont très positives. Néanmoins, le risque météorologique associé au phénomène El Niño pesant sur le sous-continent indien pourrait atténuer ces prévisions. En outre, d’autres céréales, comme le riz ou le maïs, devraient être plus affectés par le phénomène.
Dans l’hémisphère Sud, les prévisions de production céréalière 2024 sont positives, avec une augmentation de la production en Argentine, du fait de conditions météorologiques favorables, et une production de maïs au Brésil qui atteindra des niveaux satisfaisants (après une année 2023 record). En Afrique du Sud, nous observons une dynamique positive pour la culture du maïs mais les épisodes de sécheresses sévères ayant frappé l’Afrique australe ces dernières années invitent toutefois à rester prudents.
Enfin, la production mondiale de riz en 2024 devrait se stabiliser à un niveau similaire à la saison précédente (+0,5% g.a.).
Le risque météorologique sera critique pour l’agriculture mondiale en 2024.
Les effets d’El Niño devraient demeurer persistants jusqu’au troisième trimestre et augmenteront la vulnérabilité du segment agricole dans les pays de l’Indopacifique – ce qui pourra de facto créer des externalités positives pour les régions non affectées (Canada, Chine, Europe centrale).
Nous estimons ainsi que l’accroissement des températures et des épisodes de sécheresses causera la baisse de la production agricole pour la plupart des commodités dans une grande partie de la région indopacifique. En Inde, la baisse des niveaux de pluviométrie en période de mousson, après une année 2023 marquée par des épisodes de sécheresse records, pourrait être sévère pour la production agricole (sucre, riz, blé).
Les échanges commerciaux se stabiliseront mais resteront un point d’incertitude majeur.
Nous prévoyons un très léger rebond (+1% g.a, soit +3,7 millions de tonnes) en 2024 (-2% g.a. en 2023). Il faut néanmoins s’attendre à une profonde hétérogénéité entre les commodités agricoles. Si les échanges de céréales secondaires augmenteront de 3,3% g.a (+7,5 Mt) en 2024, les échanges de blé et de riz baisseront respectivement de 1,3% et 2,3% g.a.
L’effondrement des capacités de production et d’exportation de l’Ukraine continueront de peser sur les échanges de blé notamment. Le riz et le sucre, eux, continueront de pâtir des mesures de restrictions aux exportations, mises en place par l’Inde et l’Indonésie notamment. Elles devraient durer, a minima, jusqu’au troisième trimestre 2024. Plusieurs pays émergents restreignent ainsi leurs exportations de commodités agricoles. L’impact de la guerre en Ukraine les a poussés à se protéger contre la flambée des prix. A moyen et long terme, la croissance démographique dans de nombreux pays émergents et la dégradation des conditions climatiques maintiendront la pression sur l’accès aux ressources alimentaires et renforcement probablement la contraction d’une partie des échanges agricoles.
L’arsenalisation de l’agriculture, c’est-à-dire l’utilisation de la production agricole et des approvisionnements alimentaires comme moyen de pression géopolitique, par certains pays (comme c’est le cas de la Russie) s’ajoute à la liste des risques à surveiller pour le secteur. Le risque de pénurie alimentaire dans des régions vulnérables permet à la Russie de maintenir une pression sur les dirigeants et les opinions publiques occidentales. Le non-renouvellement des accords du Black Sea Grain initiative par la Russie le 17 juillet 2023 va dans ce sens. En effet, ce corridor d’urgence mis en place en mars 2022 avait permis le transit de 33 millions de tonnes de céréales jusqu’à juillet 2023, dont 65% à destination de pays en développement. Si la Chine a été le premier destinataire des cargos (en volume de grains) au départ des ports ukrainiens, cette initiative a également permis d’approvisionner des pays très dépendants aux importations de céréales comme le Bangladesh, l’Egypte, la Lybie ou encore la Tunisie et de maintenir les actions du Programme Alimentaire Mondial (PAM) en expédiant 725 000 tonnes de blé à destination de l'Éthiopie, du Yémen, de l'Afghanistan, du Soudan, de la Somalie, du Kenya et de Djibouti. Le refus de la Russie de prolonger cette initiative a provoqué un rebond très provisoire des prix des céréales, vite effacé par la baisse tendancielle des prix des céréales depuis le T4 2022. Ainsi, depuis juillet 2023, ce sont surtout l’Afrique du Nord et le Bangladesh qui sont le plus affectés par la baisse des capacités de production et d’exportation de céréales de l’Ukraine.
L’intégration provisoire de l’Ukraine dans le marché commun agricole européen crée par ailleurs de fortes tensions au sein de l’Union européenne. Ce sujet a été un catalyseur dans les premiers mois de 2024 à la colère du monde agricole européen. De nombreuses manifestations ont ainsi eu lieu en France, Espagne ou encore Pologne, et devant les institutions européennes à Bruxelles. Les agriculteurs manifestent essentiellement leur colère contre les accords de libre-échange, l’importation de céréales ukrainiennes et la règlementation environnementale. En 2023, une enveloppe d’urgence de 150 millions EUR avait été accordée à la Bulgarie, la Hongrie, la Pologne, la Roumanie, et la Slovaquie afin de compenser ce qu’ils dénonçaient comme une distorsion de concurrence. Néanmoins, à moyen terme, une réflexion autour de la Politique agricole commune et notamment son programme pluriannuel 2023-2027 devra s’opérer pour palier l’évolution rapide du contexte géoéconomique européen et mondial.
Enfin, la résurgence de problématiques sécuritaires en mer Rouge constitue soudainement une menace majeure pour les approvisionnements agricoles. En effet, environ 15% des flux commerciaux mondiaux de blé et de riz, et 7% de maïs, empruntent le canal de Suez. Or, les volumes transitant par le canal ont été divisés par trois en janvier dernier, par rapport au mois de décembre 2023 comme en glissement annuel. Seulement 2,6 millions de tonnes de grains ont ainsi emprunté le canal en janvier 2024, contre 6,6 millions le mois précédent et 6,4 millions un an plus tôt. L’Afrique de l’Est, l’Iran ou encore le Pakistan pourrait être particulièrement affectés pour leurs approvisionnements en céréales. L’augmentation des délais d’approvisionnement et des coûts de fret orientent à la hausse les prix alimentaires dans les régions et pays mentionnés.