Une reprise économique timide
L’année 2023 s’est soldée par une baisse légère du PIB. La dépréciation du peso et l’augmentation du prix du pétrole au second semestre, ont ralenti le processus désinflationniste et, par là même, le desserrement de la politique monétaire (taux directeur de la Banque centrale du Chili (BCCh) encore à 9% en octobre 2023) et la demande interne. Sauf méforme de l’économie chinoise, la principale cliente, sévérité d’El Niño ralentissant la production agricole (9% des exportations en 2022) et minière (57%) ou aggravation des tensions géopolitiques, l’activité devrait repartir sur une pente légèrement positive en 2024. La diminution de l’inflation devrait tirer à la hausse les salaires réels et le pouvoir d’achat des ménages. En revanche, la croissance de l’investissement sera anémique pour les standards chiliens, affichant une augmentation annuelle de seulement 2,5% sur 2024. Déjà en 2023, la tendance était à la décroissance, en raison d’un durcissement de la réglementation minière (instauration de critères environnementaux) et d’une hausse des coûts de production du cuivre (de 1.59 USD/lb en 2022 à 1.98 USD/lb au 1er semestre 2023). L’entrée en vigueur, en 2024, des réformes sur le lithium et le cuivre ne fera qu’alimenter la perte d’attractivité nationale par rapport aux concurrents péruvien et canadien. Concernant le métal rouge, la fiscalité des gros producteurs (générant plus de 50 000 tonnes de cuivre par an) sera alourdie. La taxe se décomposera en une part fixe (taxe annuelle de 1% sur les ventes) et une variable (entre 8 et 26% selon les bénéfices). Du côté du métal gris, le gouvernement contraindra les producteurs à céder 51% de leurs opérations à l’Etat. Sans compter qu’en cas de rejet de la nouvelle proposition constitutionnelle en décembre 2023, l’incertitude sur la politique gouvernementale (réforme fiscale, des retraites) risquerait de se prolonger en 2024, minant davantage la confiance des investisseurs. Nonobstant, le secteur minier soutiendra l’activité économique.
Réserves de change sollicitées, mais des déficits jumeaux bénins
Le déficit courant s’est nettement réduit en 2023. L’augmentation de l’excédent commercial a résulté d’une chute plus importante des importations, sous l’effet de l’atonie de la demande domestique, que des exportations, subissant le tassement des prix du cuivre et du lithium. Suivant la même tendance, le déficit des services s’est allégé, aidé par la diminution des coûts de fret maritime et aérien, en plus du rebond de l’activité touristique. En outre, le déficit des revenus primaires s’est légèrement résorbé. Le ralentissement économique a effectivement contribué à la réduction des bénéfices rapatriés par les entreprises étrangères. Si les entrées nettes d’IDE des trois premiers trimestres de 2023 ont largement excédé le déficit courant de la période, la mise en place des réformes minières peut affaiblir ces flux en 2024. Les investissements des fonds de pension chiliens à l’étranger sont peu ou prou compensés par les investissements de portefeuille étrangers au Chili. Les réserves de change de la banque centrale se sont affaiblies, après qu’elle ait dû en utiliser 24% pour défendre le peso en 2022. Afin de parer à cette faiblesse, la BCCh a adopté un programme d’accumulation de 10 milliards de dollars sur 12 mois en juin 2023. Néanmoins, l’accroissement du différentiel de taux avec la FED l’a forcée à le suspendre temporairement en octobre 2023, car acculée par les pressions à la dépréciation du peso. Au total, malgré l’attribution par le FMI d’une ligne de crédit flexible sur 2 ans (18,5 milliards de dollars) en août 2022, les réserves de change couvraient à peine les 5 mois d’importations recommandés par le FMI en octobre 2023. Par ailleurs, la position extérieure nette chilienne représentait 18% du PIB à septembre 2023). Quant à la dette externe du pays (76% du PIB à fin septembre 2023), elle poursuivrait sa tendance baissière en 2024, uniquement pour sa part privée. Elle est due à 68% par le secteur privé et correspond pour 22% à des IDE.
Sur le plan budgétaire, le compte public est redevenu légèrement déficitaire en 2023, retrouvant son niveau pré-covid. La contraction des recettes minières et l’exonération de taxes, visant à relever l’investissement et la consommation privée, ont tiré les recettes publiques vers le bas, tandis que les dépenses ont augmenté sous l’influence de la récession. Pour 2024, néanmoins, le déficit public devrait se réduire sous l’impulsion des nouvelles taxes minières récoltées (0,45% du PIB lorsqu’elles seront totalement mises en œuvre). Enfin, la dette publique brute poursuivra sa tendance haussière en 2024. Sa part domestique (66% du total, gouvernement central uniquement) est égalitairement libellée en peso et en UF (unidad de fomento, peso indexé sur l’inflation), sa part externe en dollar (68%) et en euro (30%). La dette publique totale est à 98% détenue par des créanciers privés.
Faible base politique entravant les réformes gouvernementales
La popularité du président Gabriel Boric, du parti de gauche Apruebo Dignidad, et de son gouvernement s’est affaiblie en 2023. Alors même que ses premières réformes ont connu un certain succès auprès de la population (augmentation du salaire minimum, réduction de la durée maximale de travail par semaine à 40 heures, les redevances minières), le gouvernement, essuie, depuis septembre 2022, des revers politiques et législatifs majeurs (rejets de la première proposition constitutionnelle et de la réforme fiscale jugées trop à gauche par une majorité de l’électorat chilien et les partis de centre-gauche du Congrès). Ces déboires risquent de se prolonger en 2024, l’agenda politique de Boric étant très controversé. Le gouvernement a négocié avec l’opposition une modification de sa proposition fiscale, rejetée en mars 2023. Le pacte fiscal remanié inclurait des mesures figurant dans la précédente réforme, en omettant tout de même les points faisant le plus débat (l’impôt sur la fortune et les bénéfices non distribués). La réforme des retraites est aussi revue à la baisse. La réduction des fonds de pensions privés (AFP) à un simple fonds commun de placement, en plus d’être mis en concurrence directe avec l’alternative gérée par l’Etat et d’être remplacés par une nouvelle agence publique, dénommée l’Administrador Provisional Autonomo, n’emporterait pas une adhésion majoritaire. En revanche, l’extension de la couverture de la Pension Garantizada Universal (PGU), ayant pour but de. soutenir les retraités à faibles revenus, aurait toute ses chances d’être adoptée. L’avenir de ces textes est lié à la réforme constitutionnelle, soumise à référendum en décembre 2023, qui pourrait, de nouveau, être repoussée, car, cette fois, jugée trop conservatrice par les électeurs. Alors que les soulèvements de 2019 revendiquaient des revirements progressistes, le conseil constitutionnel, en charge de la rédaction de la seconde proposition constitutionnelle, était majoritairement dominé par les partis d’opposition (66% des sièges occupés par la droite, dont 44% détenus par le Partido Republicano d’extrême droite). Dans ce scénario, la fragmentation de l’environnement politique chilien rendrait difficile l’application des réformes de Boric jusqu’aux nouvelles élections générales de 2025.
Sur le plan extérieur, le Chili renforcera ses liens avec l’UE et les maintiendra avec les Etats-Unis. Le programme environnemental et progressiste de Boric s’accorde avec le souci européen de favoriser les investissements et les relations commerciales dans et avec les pays démocratiques. Les larges réserves de lithium et de cuivre et les ressources renouvelables chiliennes, propices à l’hydrogène vert, sont particulièrement intéressantes dans le cadre du pacte vert européen. En décembre 2023, les deux parties ont décidé d’actualiser leur accord de libre-échange (ALE) pour y inclure des clauses environnementales et encourager l’UE à investir davantage dans les énergies renouvelables chiliennes. Cet accord serait ratifié fin 2023, si toutefois le monde agricole européen ne s’y oppose pas. Le Chili veillera sur son ALE avec les Etats-Unis, qui lui garantit son ancrage à l’IRA (Inflation Reduction Act), à travers les crédits d’impôts pour les fabricants de véhicules électriques et les producteurs de métaux (cuivre, lithium).