Une croissance encore soumise aux conditions météorologiques
En 2024, l’activité économique progressera un peu moins rapidement. Après une sévère sécheresse en 2022, le retour des pluies a permis au secteur exportateur d’enregistrer un fort rebond en 2023 (augmentation de 50% de la production agricole et de 21,2% de la production hydroélectrique). Par rapport à cette base de comparaison élevée de 2023, la croissance des exportations agricoles (soja, viande) et hydroélectriques devrait légèrement décélérer en 2024. Pour autant, ce ralentissement n’empêchera pas l’activité exportatrice de contribuer encore positivement à la croissance. Les précipitations devraient continuer de favoriser la navigation fluviale (de loin le principal moyen de transport commercial) et la production agricole, si toutefois le phénomène El Nino n’est pas excessif, auquel cas les inondations seraient néfastes. Néanmoins, l’activité exportatrice n’échappera pas au ralentissement économique de certains de ses principaux partenaires commerciaux (Argentine, Brésil et Russie), ni à la diminution des prix des produits agricoles mondiaux. En outre, le Paraguay ne consomme que 41% de sa part de l’électricité produite par les centrales hydroélectriques de Yacyretá et d’Itaipu, situées sur le fleuve de Paraná et partagées, respectivement avec l’Argentine et le Brésil, vers lesquels le reste est exporté. Par ailleurs, la consommation privée soutiendra la croissance, car redynamisée par la désinflation et un marché du travail favorable (taux de chômage estimé à 6,2% en 2023, inférieur au niveau prépandémique de 6,6%). Le potentiel de développement du massif forestier, très abimé par la déforestation favorisée par le développement passé de l'élevage, devrait attirer les investissements. En effet, la construction par Paracel de la première grande usine de pâte à papier du pays devrait commencer en 2024 et celle de biodiesel par Omega Green, d’ici fin 2025, financées par des acteurs aussi bien nationaux qu’étrangers. Dans cette optique, la plantation d’eucalyptus en 2024, dans le cadre du plan national de reforestation, vise à accroître le massif forestier. En revanche, après un pic de la dépense budgétaire lié aux élections de 2023, la consommation et l’investissement public seront contraints par les plans de consolidation budgétaire du gouvernement. Parallèlement, le secteur de la construction (-4,8% en glissement annuel au premier trimestre 2023), devrait voir sa tendance négative se modérer, voire s’inverser, sous réserve d’une météo favorable. Le maintien des partenariats publics-privés, initiés en juin 2021, devrait soutenir la construction d’infrastructures publiques. En décembre 2023, l’Argentine, le Chili, le Brésil et le Paraguay ont annoncé s’appuyer sur l’initiative privée pour financer le projet de couloir bi-océanique, prévoyant la construction d’une autoroute pour 2025 liant le port brésilien de Santos à la côte nord du Chili.
Sensibilité du compte courant aux conditions météo et consolidation budgétaire en marche
La balance courante est redevenue légèrement excédentaire en 2023 en raison d’un solde commercial de nouveau positif. Le net rebond des exportations agricoles et, dans une moindre mesure, des ventes d’hydroélectricité, a largement compensé celui des importations, accompagnant l’embellie de la demande domestique, par ailleurs atténué par la baisse des prix du carburant et des engrais. Néanmoins, dès 2024, l’intensification de l’investissement privé, stimulant les importations de machines et autres biens d’équipements, pèsera de nouveau. Le déficit de la balance des services a reculé du fait de la normalisation de l’activité touristique et fluviale qui avait souffert de la sécheresse intense de 2022. De même, la hausse des remises des travailleurs expatriés (1,3% du PIB en 2022), compte tenu d’un marché de l’emploi favorable en Espagne (63,7% des envois de fonds) et aux Etats-Unis (12,7%), a renforcé l’excédent des revenus secondaires. A l’inverse, le déficit des revenus primaires s’est encore creusé, la reprise économique ayant accru les bénéfices rapatriés par les entreprises étrangères. Les flux d’IDE et d’investissements de portefeuille sont restés particulièrement élevés en 2023 pour les standards paraguayens, et devraient bénéficier du regain d’attractivité du secteur forestier en 2024. Les réserves en devises étrangères se renforcent (elles couvriront 7,5 mois d’importation d’ici fin 2024), surpassant leur niveau d’avant crise de 2018.
Sur le plan budgétaire, le déficit s’est alourdi en 2023, dépassant une fois de plus la cible gouvernementale de 2,3%. Le remboursement des arriérés aux fournisseurs, estimés à 1,1% du PIB, cumulé aux élections générales d’avril 2023, ont provoqué un relâchement au niveau des dépenses. Par conséquent, la loi sur la responsabilité budgétaire, limitant le déficit nominal à 1,5% du PIB, restera suspendue, une fois de plus, en 2024. A partir de cette année, le solde public retrouverait une tendance baissière, soutenu par une reprise de l’activité et une collecte d’impôts à la hausse. En effet, pour lutter contre l’informalité de l’économie, et les recettes sous-optimales qu’elle entraine (seulement 14% du PIB en 2021), le gouvernement a mis en place un système de facturation électronique en 2022. Ce processus s’est déjà révélé efficace auprès des petites-moyennes entreprises, échappant jusqu’ici à l’effort public, et devrait continuer de gonfler les recettes publiques en 2024. Enfin, la dette publique devrait rester soutenable, malgré une tendance haussière. En effet, de nouveaux financements ont été mobilisés pour être en mesure de payer les fournisseurs, expliquant son augmentation en 2024. Presque exclusivement libellée en dollars (91%), elle est équitablement répartie entre créanciers multilatéraux (45%) et obligataires (42%). Sa part externe, 77% du total, devrait connaitre une tendance baissière.
Les promesses présidentielles se heurtent à des institutions politiques faibles
Elu avec 42,7% des voix et en fonction depuis août 2023, le président Santiago Peña, du parti conservateur Partido Colorado (PC), voit déjà sa cote de popularité décliner. Alors même que sa campagne se concentrait sur la lutte contre la criminalité et la corruption, les progrès, particulièrement lents, dans ces domaines font naître une profonde frustration et désillusion chez ses électeurs. Un plan anti-contrebande a été adopté en septembre de la même année. Il vise à réduire l’évasion fiscale en restreignant le passage illégal de marchandises aux frontières. Si des résultats sont obtenus avec l’Argentine, cela reste encore inefficace avec le Brésil. En parallèle, la corruption restera au centre des débats politiques. Les initiatives de Peña pour y remédier, en vue de renforcer l’attractivité nationale aux yeux des investisseurs étrangers (projets PPP, crédits carbone), sont confrontées à un climat des affaires médiocres et à la faiblesse institutionnelle. Le fait que le PC ait occupé le pouvoir durant 75 des 80 dernières années, y participe. Selon l’indice de perception de la corruption, le Paraguay se classe 137ème sur 180 en 2022. La consolidation budgétaire est une autre priorité gouvernementale. En plus du système de facturation électronique, Peña poursuivra sa réforme des retraites . En sa forme actuelle, certains groupes spécifiques, à savoir la police nationale, la force armée et les enseignants, cotisent moins que les autres citoyens. Cependant, l’instabilité politique freinera les avancées, même légères, de ces réformes. Les gains législatifs du courant présidentiel au sein du PC, Honor Colorado (HC), détenant désormais 42 sièges sur 80 (contre 35 en aout 2023) à la chambre basse, ne suffiront pas à compenser l’escalade des tensions intra-parti. En effet, les sanctions pour corruption du Trésor Américain, à l’encontre du principal allié politique de Peña, Horacio Cartes (président de 2013 à 2018 et actuel chef du PC), ont réveillé les traditionnelles divisions entre pro et anti-Cartes. Sans compter que les membres conservateurs du PC seront réticents à soutenir les réformes plus structurelles proposées par Peña. Au vu de la lenteur du processus législatif, les tensions sociales et politiques risquent de se prolonger en 2024, rendant plus difficile que prévu l’application de l’agenda politique présidentiel.
Sur le plan extérieur, l’année 2024 sera d’abord marquée par la poursuite de la renégociation avec le Brésil du traité bilatéral régissant leur centrale d’Itaipu expiré en août 2023. Asuncion souhaite pouvoir vendre sa part inutilisée de l’électricité produite à des pays tiers à un prix plus élevé, ce qui lui a été interdit durant 50 ans. Le gouvernement brésilien serait ouvert à des termes plus avantageux pour le Paraguay. Néanmoins, compte tenu du faible pouvoir de négociation paraguayen, un manque d’avancées majeures risque d’alimenter les tensions politiques et sociales nationales. Par ailleurs, l’Argentine, deuxième partenaire commerciale, a imposé unilatéralement, en janvier 2023, un péage censé rémunéré ses travaux sur les fleuves Paraguay et Paraná (Hidrovía Paraná-Paraguay), principale issue commerciale du Paraguay. En réponse à cette décision, le gouvernement paraguayen a momentanément arrêté, en septembre de la même année, de lui fournir la part inutilisée (soit la presque totalité) de son quota de l’énergie hydroélectrique de Yacyretá. Même si les entreprises de navigation ne s’acquittent pas du péage, le trafic fluvial est normal, ce qui donne bon espoir quant à la poursuite des négociations entre les cinq pays parties au traité sur la voie navigable en 2024. Enfin, le gouvernement de Peña prévoit de renforcer ses liens avec Taiwan, ce qui pourrait lui valoir une certaine bienveillance de la part des Etats-Unis. Déjà, alors que la diminution des troupeaux bovins fait monter les prix intérieurs et limite l’offre, Washington a accepté l’entrée de viande bovine paraguayenne après 25 ans d’interdiction pour non-respect du protocole sanitaire américain. Néanmoins, le gouvernement risque de subir, de nouveau, la pression de ses agriculteurs, car le maintien de relations diplomatiques avec Taiwan les empêche d’exporter directement leurs produits agricoles vers la Chine continentale.