Des projets ambitieux, mais la production de pétrole est toujours restreinte
En 2024, la contraction de l’activité économique devrait se poursuivre en raison du plafonnement de la production de pétrole par l’OPEP+ et de l’arrêt des exportations de pétrole du Kurdistan vers la Turquie depuis mars 2023. En juin 2024, ce groupe a annoncé la prolongation des restrictions pour les pays membres, entraînant une nouvelle baisse de la production pétrolière irakienne, que celle-ci n’avait, jusqu’alors, que partiellement respectées. Cette situation est aggravée par une demande mondiale stagnante pesant sur les prix. Toutefois, les quotas devraient commencer à être progressivement supprimés entre septembre 2024 et décembre 2025, permettant une augmentation graduelle de la production.
En 2025, la croissance devrait donc se rétablir avec l’augmentation de la production de pétrole, malgré une demande mondiale en hydrocarbures toujours atone. De plus, le gouvernement continuera à favoriser les investissements dans le secteur pétrolier et gazier. En effet, en juillet 2024, un accord d’investissement trilatéral de 27 milliards de dollars, sur 25 ans, a été signé entre Basrah Oil Company (30%), TotalEnergies (45%) et QatarEnergies (25%). L'accord prévoit d'augmenter la production du champ pétrolier Ratawi à Bassorah. Il vise également à améliorer l'approvisionnement en électricité du pays, en récupérant le gaz torché sur trois champs pétrolifères pour alimenter des centrales électriques, ce qui contribuera à réduire la facture d'importation de l'Irak. En outre, TotalEnergies a annoncé le développement d’une centrale solaire de 1 GW destinée à alimenter le réseau électrique de Bassorah.
Dans le cadre du budget pour 2023-2025, le plus important, à ce jour, avec des dépenses de USD 152 milliards par an, le parlement fédéral a adopté une augmentation exceptionnelle des dépenses pour 2024, les passant à USD 162 milliards. Cette hausse englobe l'augmentation des dépenses d'investissement local, telles que l'amélioration des infrastructures et de l'accès aux soins de santé, à l'électricité et aux services éducatifs. Un autre objectif est l’augmentation de l'embauche et des salaires dans le secteur public, ce qui pourrait stimuler la consommation privée. Le gouvernement espère gagner le soutien populaire dans l’optique des élections de 2025. Par ailleurs, l’effet de l'augmentation du taux d’intérêt directeur de 4 % à 7,5 % par la Banque centrale de l'Irak (CBI), en juin 2023, sera sans doute faible compte tenu de l’informalité, du rôle marginal du crédit. L’évolution de l’inflation est surtout liée à l’évolution des prix mondiaux du fait de la dépendance aux biens de consommation et d’équipement importés, ainsi qu’à la pression de la consommation des ménages, elle-même liée à l’évolution de la dépense publique.
Une détérioration des soldes courant et public
La balance courante devrait encore se détériorer, jusqu’à passer dans le rouge en 2024, avant de se stabiliser en 2025, en raison de l’impact des quotas OPEP+ sur les exportations pétrolières et de l'augmentation des importations alimentée par la hausse de la demande intérieure. Le déficit public devrait se creuser en 2024 en raison de l’augmentation des dépenses. Ces dépenses augmenteront de 3,8 % du PIB (presque entièrement dû à l’augmentation des salaires et des pensions). La baisse des recettes d’exportation de pétrole contribuera également à l’augmentation du déficit public.
Les déficits seront financés par les réserves de change (équivalentes à 11,4 mois d’importations fin 2023), les investissements directs étrangers et l’endettement domestique, notamment avec des prêts indirects de la CBI, sous la forme d'achats de titres d'État par les banques publiques, immédiatement cédés à la CBI sur le marché secondaire. Fin 2023, les créances totales de la CBI sur le gouvernement central représentaient plus de la moitié de la dette publique intérieure. Cependant, la dette publique (dont 52 % est extérieure et 56% libellée en devises étrangères) est considérée, comme soutenable, d’autant que le dinar est ancré au dollar.
Par ailleurs, depuis 2023, l’Irak a interdit à 22 banques commerciales locales d'effectuer des transactions en dollar américain, suspectant leur implication dans la contrebande de devises avec l’Iran. Cette situation pourrait compromettre l’accès de la Banque centrale irakienne (CBI) aux réserves de change du pays, détenues par la Réserve fédérale américaine (Fed). Ce resserrement de l’offre de dollars américains a entraîné la dépréciation du taux de change sur le marché parallèle irakien en 2023, qui devrait rester volatil.
Des élections législatives en 2025, dans un contexte géopolitique régional agité
Des élections législatives se tiendront en 2025. Une nouvelle loi électorale, introduite en 2023, réduit le nombre de circonscriptions, favorisant potentiellement les grands partis, particulièrement ceux de la coalition gouvernementale dirigée par le Premier ministre Shia al-Sudani, le Shia Coordination Framework (CF) soutenu par l’Iran, mais aussi les partis sunnites et kurdes, au détriment des petits partis et des candidats indépendants. Les élections provinciales de décembre 2023, organisées sous ce nouveau système, ont donné beaucoup de sièges aux partis alignés sur la CF, indiquant que leur succès pourrait se répéter à l’échelle nationale en 2025. Cela risque de mécontenter une partie de la population qui pourrait se sentir sous-représentée, alors même que la situation politique est étonnamment et relativement calme.
L’Irak est confronté à une multitude de dangers : le risque de résurgence de l’Etat islamique, dont des membres sont présents dans le désert partagé avec la Syrie et la Jordanie, la présence de milices armées, certaines proches de l’Iran, susceptibles de déstabiliser la société et l’économie, le séparatisme kurde. Aussi, les autorités s’efforcent de maintenir de bonnes relations avec toutes les parties présentes, malgré leurs rivalités et leurs conflits, mais, depuis peu, aidées par le rapprochement entre Iran et Pays du Golfe. L’affrontement entre Israël et le Hamas à Gaza, à partir d’octobre 2023, a incité des milices irakiennes, certaines alignées sur l’Iran et proches de partis de la CF, a attaqué plusieurs bases militaires américaines en Irak, en Syrie et en Jordanie. Des négociations ont été entamées, en janvier 2024, sur le retrait des troupes américaines, alors que le Conseil de sécurité de l’ONU a prorogé, en mai 2024, le mandat de la Mission d'assistance des Nations unies pour l'Iraq (MANUI) jusqu'au 31 décembre 2025. En outre, lors de leur rencontre, en avril 2024, une première depuis 2011, le président turc Recep Tayyip Erdogan et le premier ministre irakien Mohammed Shia al-Sudani ont discuté de la gestion de l'eau du Tigre et de l’Euphrate, partagée entre la Turquie, la Syrie et l'Irak. L'Irak a souffert de pénuries d'eau, en partie à cause de la construction de barrages et de l’irrigation intensive en Turquie. Un accord-cadre de dix ans a été signé pour coopérer sur la gestion de l'eau, garantissant à l'Irak sa juste part, bien qu'aucune solution concrète n'ait encore été mise en place. Le développement d’un corridor multimodal reliant le Golfe et la Turquie et la réactivation de l’oléoduc entre Kirkouk et Ceyhan ont aussi été à l’ordre du jour, tout comme le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), une organisation politique armée kurde, principalement active en Turquie et en Irak et utilisant la région semi-autonome du Kurdistan irakien comme base arrière. L’armée turque est présente dans le Kurdistan d’Irak où elle opère contre le PKK sans trop de réaction, ni du gouvernement central irakien, ni du gouvernement régional en proie à des tensions entre factions rivales (le Parti démocratique du Kurdistan le dominant étant accusé par l’Union patriotique du Kurdistan de soutenir la Turquie) exacerbées par la tenue prochaine des élections régionales.
Depuis la signature de l'accord "Pétrole-contre-Reconstruction", en 2019, la Chine a renforcé sa présence en Irak. Cet accord lui permet de financer la reconstruction d'infrastructures tout en investissant dans l'industrie pétrolière et gazière du pays en échange de pétrole. En conséquence, la Chine est devenue le principal importateur de pétrole brut irakien (1/3 des exportations), tandis que l'Irak est désormais le troisième fournisseur de pétrole de la Chine.