Une croissance économique toujours fragilisée par la crise énergétique et logistique
En 2023, l’activité économique a été fortement pénalisée par les pénuries d’électricité, ainsi que par d’importantes difficultés logistiques. En effet, la sous-performance de l’opérateur ferroviaire et portuaire public Transnet, en raison du manque d’équipements et de retards de maintenance après des années de sous-investissement (exacerbées par des vols) a fortement perturbé les exportations de matières premières et de fruits, ainsi que l’approvisionnement de l’industrie manufacturière et du commerce de détail.
En 2024, l’économie devrait légèrement se redresser grâce à l’amélioration de la production d’électricité, en raison des réformes gouvernementales à l’œuvre (Plan d’investissement pour une transition énergétique juste 2023-2027). La désintégration d’Eskom (séparation de la production, du transport, de la distribution) et l’ouverture de la génération au privé, avec la mise en concurrence du marché de l’énergie, devraient améliorer l’approvisionnement énergétique et donner un nouvel élan aux investissements publics et privés, notamment dans les sources d’énergies renouvelables (principalement solaire et éolien). Les institutions de financement du développement, notamment la Banque mondiale et la Banque africaine de développement, ont annoncé des prêts importants (respectivement 1 milliard et 300 millions de dollars), destinés à soutenir la sécurité énergétique et la transition vers une économie sobre en carbone. Par ailleurs, la réduction simultanée des goulots d’étranglement dans les transports renforcera cette reprise timide de l’activité économique. Néanmoins, tout cela n’apportera qu’une faible hausse de la croissance à court et moyen terme. De plus, les exportations resteront sous pression en raison des prix plus bas, des problèmes de transport persistants et d’une demande affaiblie des principaux partenaires commerciaux, notamment la Chine. Par ailleurs, d’autres obstacles continueront de peser sur l’activité, tels qu’un chômage très élevé (supérieur à 30%, 45% chez les jeunes) et une inflation toujours au-dessus de la cible de 4,5%. La faiblesse du rand, en lien avec la dégradation des termes de l’échange, la fébrilité des investisseurs face au climat économique tendu et les incertitudes concernant le programme du nouveau gouvernement de coalition, ainsi qu’un dollar toujours fort, continuera d’alimenter l’inflation importée. La trajectoire de l’inflation obligera la Banque centrale sud-africaine (SARB) à maintenir son taux directeur (8,25% depuis mai 2023) à des niveaux restrictifs.
La persistance des déficits jumeaux
Les comptes publics continueront de se détériorer au cours de l’exercice 2024/25 en raison de la faiblesse des recettes, contraintes par la conjoncture, alors que les tensions sur les dépenses se sont intensifiées. Les recettes publiques continueront de souffrir de la faiblesse des recettes d'exportation de minerais et de l’atonie économique. Côté dépenses, l’imposante masse salariale du secteur public continuera de peser, alors que le gouvernement prévoit une hausse des salaires de 4,7% pour l’exercice 24/25. Par ailleurs, le service de la dette devrait rester important en 2024 : autour de 17% des recettes budgétaires et 5% du PIB. De plus, le soutien aux ménages, introduit en 2020, dans le contexte de la crise du Covid-19 (Social Relief of Distressed Grant), a été prolongé jusqu’en mars 2025, alors que le coût lié au prolongement de cette aide est estimé par le Trésor à 50 milliards de rands par an (soit environ 2,6 milliards de dollars). Enfin, le gouvernement a validé un programme d’allégement de 254 milliards ZAR la dette d’Eskom (13,6 milliards USD, soit 3,8 % du PIB) sur les 350 milliards ZAR garantis par l'État, à répartir entre les exercices 23/24 et 25/26. Le gouvernement a également annoncé une nouvelle aide de 2,5 milliards de dollars pour Transnet. De fait, la dette publique brute consolidée, qui comprend les sociétés publiques non financières et financières, restera élevée (proche de 120 % du PIB). Néanmoins, la dette de l'Afrique du Sud est essentiellement domestique (près de 80 %), libellée en rand et assortie d'une longue maturité. Cela la rend donc moins vulnérable aux risques liés aux augmentations des taux d'intérêt et à la dépréciation de la devise.
Le déficit du compte courant continuera de se creuser. L’excédent commercial se réduira, lié aux exportations peu dynamiques et à la légère reprise des importations, entraînée par une reprise faible mais progressive de la demande domestique. Le déficit des services devrait s’améliorer sensiblement, en lien avec des coûts de transport internationaux en baisse et la progression du secteur touristique. Le déficit des revenus primaires, principal contributeur du déficit courant, restera important, dû principalement au rapatriement des dividendes par les entreprises étrangères. La balance des revenus secondaires restera également déficitaire en raison de la sortie des remises des travailleurs expatriés vers les pays voisins notamment. L’Afrique du Sud ayant des marchés d’actions et d’obligations de taille importante, le financement du déficit courant dépend principalement des flux de capitaux étrangers, qui sont susceptibles de rester volatiles, notamment en ce qui concerne les investissements de portefeuille. Néanmoins, les réformes sectorielles à l’œuvre, qui sont centrales dans l’agenda économique du nouveau gouvernement, devraient entraîner un regain de confiance des investisseurs de portefeuille. Les flux d’IDE bénéficieraient aussi d’une amélioration de la confiance des investisseurs et pourraient augmenter progressivement, principalement vers certains projets miniers et les énergies renouvelables (panneaux solaires, batteries). Les réserves de change devraient donc rester adéquates (l’équivalent de 5,5 mois d'importations en Mars 2024).
L’ANC ne gouverne plus seul
Si l'African National Congress (ANC), en tant qu’héritier de la victoire contre l’apartheid, reste la force politique dominante, sa popularité n'a cessé de décliner au cours des dernières années. Les niveaux records de délestage électrique chez Eskom, la mauvaise gestion des réseaux de distribution de l’eau, le degré élevé de corruption et les nominations de récompense, illustrent bien les problèmes de gouvernance auxquels le pays est confronté. Les mauvaises prestations de services publics n’ont fait qu’éroder la confiance des électeurs, déjà ébranlée par un contexte social tendu. Outre le chômage, la pauvreté, les inégalités et la criminalité structurellement élevés, la population doit faire face à une dégradation de son niveau de vie en raison d'une inflation persistante. En conséquence, l’ANC a perdu sa majorité parlementaire absolue lors des élections générales de mai 2024 (40,2% des voix - 159 sièges sur 400 à l’Assemblée nationale, contre 230 obtenus en 2019), pour la première fois depuis la fin de l’apartheid en 1994. Cependant, le président Cyril Ramaphosa a assuré sa réélection par le Parlement, en formant une coalition gouvernementale avec le parti Democratic Alliance (centre), l'Inkatha Freedom Party (droite), ainsi que le parti conservateur Patriotic Alliance. Les marchés ont réagi positivement à ce résultat, car ils craignaient une alliance entre l'ANC et les partis de gauche les plus radicaux (EFF, MK), dont les programmes économiques comprenaient, notamment, la poursuite de la nationalisation et de l'expropriation des terres. Cette coalition centriste devrait se concentrer sur les réformes économiques visant à stimuler la croissance et à améliorer la gouvernance, en particulier au niveau local. Toutefois, comme dans la plupart des accords de partage du pouvoir, il faut s'attendre à une certaine instabilité du fait des points de désaccord entre l'ANC et ses nouveaux alliés.
Sur le plan extérieur, l'accueil par Pretoria du forum annuel de l'African Growth and Opportunity Act (AGOA) en novembre 2023 témoigne d’une amélioration des relations avec les États-Unis. Néanmoins, le risque de nouvelles tensions persistera en raison des divergences de point de vue sur la guerre entre Israël et Gaza. L’Afrique du Sud a saisi la Cour internationale de justice début janvier 2024, accusant l’Etat hébreu de « génocide » dans l’enclave palestinienne. Par ailleurs, la position de neutralité du gouvernement sud-africain dans le conflit entre la Russie et l’Ukraine est également source de frictions avec les Occidentaux. En effet, en 2023, Washington avait accusé Pretoria de fournir des armes à Moscou, bien qu’aucune preuve de transfert n’ait été trouvée.